Le Drap Bleu — Thèse
- Le Drap Bleu
- 13 juin 2020
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 juin 2020
C'est le moment idéal pour vous parler de mon sujet de thèse, et de comment il m'a été inspiré.

2018. Je tricote depuis des années. C’est une immense passion, qui m’a été transmise par une grand-mère à la patience infinie et à la bonne humeur à toute épreuve. J’ai fais des études d’histoire et de gestion de projets appliqués à la culture mais, après mes diplômes, je n’ai pas trouvé le travail dont je rêvais comme organisatrice d’exposition artistique en milieu patrimonial. Alors, comme ce n’est pas le chat qui allait ramener de quoi payer les croquettes, j’ai trouvé un travail comme vendeuse de produits informatiques pour une clientèle professionnelle et exigeante, dans lequel je me suis épanouie un temps, et puis…
Un soir d’été, alors que j’évacue le stress de ma journée de travail et ma frustration de ne pas être à la plage en tricotant frénétiquement, je me pose soudain une question. Si soudainement, que je me demande comment cela se fait que je ne me la suis pas posée avant. D’où vient le tricot ? Pas la laine, non, la laine je vois à peu près d’où elle vient…! Mais le tricot ? Je sais que les hommes utilisent des aiguilles depuis des temps immémoriaux, et je connais l’existence d’une technique que l’on nomme aujourd’hui naalbinding, qui consiste à enchaîner une série de mailles que l’on crée et ferme immédiatement en passant une aiguille et du fil à l’intérieur, et dont on dit que c’était la technique de travail de la laine la plus commune à l’époque viking dans les pays scandinaves… Mais le tricot ?!

Frustrée, je commence à chercher, dans mes anciens catalogues en ligne d’ouvrages historiques, un livre sur l’histoire du tricot en France… et ne trouve rien. J’élargis aux plateformes de vente par correspondance. Toujours rien. Enfin, si, évidemment, je trouve une quantité phénoménales de livres sur le tricot, les différents points, des projets par thématiques : débutant, avec une seule pelote, pull irlandais, accessoires pour la maison, layette… Mais rien sur l’histoire du tricot en France, ni ailleurs, en vérité. Alors je me dis : « Comment se fait-il qu’aucun historien ne se soit intéressé à ça ?! ».
Et puis, presque aussitôt, une idée sournoise me vient, si sournoise que, dans un premier temps, je m’empresse de la faire taire.
"Et si c’était moi ?"
Impossible ! J’ai mon travail, ma vie, mon chat… Impossible, vraiment ? L’idée fait son chemin.

Quelques mois plus tard, je vis l’un des plus grands drames de ma vie quand je dois dire au revoir à cette incroyable grand-mère qui m’a appris à tricoter. Avant qu’elle ne parte, je lui ai annonce que je compte reprendre mes études d’histoire là où je les ai laissées 5 ans plus tôt, donc en 1ère année de doctorat, et que je souhaite me trouver un sujet sur l’histoire de la laine en France. Je ne le dis pas uniquement pour lui faire plaisir, je le dis parce que j’ai envie d’y croire, un peu, beaucoup, mais n’ose pas encore. Et ma grand-mère applaudi. Malgré la faiblesse de ses bras, de toutes ses forces ! Alors, j’y crois, tout à coup.
Quelques mois de nouveau après ces douloureux moments, il y a donc environ un an et demi, la vie continuait, et mon chéri et moi étions à la recherche de notre première maison, et moi d’un sujet pour ma future thèse. Nos pas nous ont menés jusqu’au petit village de Croissy-sur-Seine, dans les Yvelines, à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Paris. Nous y avons trouvé une ravissante maisonnette vieille de 250 ans, avec poutres apparentes et authentique mur de pierres, qui nous a fait totalement craquer. Comme à mon habitude, j’ai voulu faire des recherches sur le village, son histoire, ses légendes. C’est toujours à la fois extrêmement amusant et intéressant de s’informer sur le passé auquel s’identifient les habitants d’un lieu. Et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir alors, sur le blason même de la ville, une tête de bélier à cornes recourbées ?

Incroyable ! À tout hasard, j’ai cherché à en savoir plus sur ce bélier de Croissy… Et là… Quelle fabuleuse, gigantesque coïncidence ! J’ai découvert l’histoire du dernier seigneur et premier maire du village, Jean Chanorier, un agronome du XVIIIe siècle qui avait travaillé sur l’acclimatation des moutons de race Mérinos d’Espagne, lors de leur toute première importation en France en 1786 ! J’ai poussé plus loin et ai également découvert que ce personnage, très engagé dans la défense des laines d’origine française, avait voulu prouver que, contrairement à ce qui se disait à l’époque dans les milieux manufacturiers, il était tout à fait possible de fabriquer des draps d’une qualité équivalente à celle des draps d’Espagne à partir de laines espagnoles acclimatées au sol français… Et que, pour se faire, il avait présenté en 1799 à l’Institut de France un échantillon de drap bleu teint en laine, réalisé avec les toisons de son troupeau sur lequel il avait conduit des expériences d’amélioration depuis quinze ans !
"Je viens de trouver mon sujet de thèse."

L’idée sera donc de retracer le parcours de fabrication du Drap Bleu de Croissy, depuis la laine des moutons Mérinos jusqu’à la Classe des Sciences (section d’Économie rurale et Art vétérinaire) de l’Institut de France où il a été présenté en 1799, en passant par la manufacture de Sedan où il a été teint en laine, probablement à l’indigo, puis filé, tissé et ennobli.
Alors voilà, vous savez tout, même le plus intime… Suivez-moi sur les chemins de la laine, dans les pas des moutons de France, pour en découvrir plus !
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