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La quête de la Toison d'or — Introduction

  • Photo du rédacteur: Le Drap Bleu
    Le Drap Bleu
  • 19 juin 2020
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 29 juin 2020


De nos jours, l’idée qu’une simple mèche de fibres animales puisse être à l’origine du bouleversement des pratiques agricoles de toute une nation nous paraît difficilement concevable ! Pourtant, saviez-vous qu’aux yeux des contemporains de la fin de l’Ancien Régime, la laine était loin d’être considérée comme un banal sous-produit de l’élevage ovin ? Au contraire, si l’on se fie à l’article « LAINE, s. f. (Arts​​, Manufactures​​, Commerce.​​) » de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert : « Elle est pour les royaumes florissans le plus grand objet de leurs manufactures & de leur commerce. Tout nous engage à le traiter cet objet, avec l’étendue qu’il mérite. (sic) ». (1) Et ce n’est pas peu dire !



Échantillons de laines. Musée de Labastide-Rouairoux. Copyright Le Drap Bleu 2020.
Échantillons de laines. Musée de Labastide-Rouairoux.

Entre les années 1760 et 1810, la laine est au coeur d’enjeux multiples pour les puissances européennes. Pourquoi ? Parce qu’elle est la matière première essentielle à la fabrication du drap, qui est une étoffe indispensable au quotidien de tout un chacun, et dont les productions les plus luxueuses enrichissent les possessions des notables d’Occident depuis le premier essor de l’industrie drapière au Moyen Âge. (2)


Mais à une époque où les troubles politiques et sociaux ébranlent durablement le pays, la grandeur économique de la France est menacée par celle de ses voisins. D'abord par l’Espagne, qui conserve un monopole séculaire sur l’exportation des laines dites « superfines », ces fibres d'une douceur incomparable, exclusivement fournies par une race endémique des régions ibériques que l’usage ne nomme pas encore « Mérinos » (3). Et pourtant, c'est bien d'eux qu'il s'agit ! En outre, l’Angleterre qui s’industrialise assure ainsi sa domination commerciale dans le domaine des textiles à l'échelle européenne. La situation est donc plutôt tendue…!



Cônes de laine au musée de Labastide-Rouairoux. Copyright Le Drap Bleu 2020.
Cônes de laine. Musée de Labastide-Rouairoux.

Alors, comment libérer la France de ces entraves ? Les gouvernements successifs choisissent de se rapprocher des théoriciens d’un mouvement agronomique naissant, militant pour une agriculture éclairée : l’abbé Carlier, Daubenton, et tant d’autres que vous rencontrerez bientôt… Ainsi, tous portent à cette époque leur regard sur les « bêtes à laine » françaises. (4) Les « bêtes à laine », c’est comme cela que l’on désigne les moutons au XVIIIe siècle ! J’adore cette expression !


Leur objectif ? Trouver des solutions pour améliorer les laines locales, dont la qualité est sévèrement décriée par les négociants et les manufacturiers du royaume. La principale recommandation qui ressort de leurs réflexions est celle d’un croisement massif des brebis de races indigènes avec des béliers issus d’élevages espagnols, pour une efficacité que l’on pense décisive. Le mouton Mérinos et sa laine ne sont alors plus uniquement vus comme des objets de concurrence et un idéal à atteindre : ils deviennent la pierre angulaire d’une toute nouvelle économie rurale française, repensée, raisonnée, systématisée, soutenant le développement industriel d’un pays qui se veut apaisé, prospère et influent. Tout un programme !



Statuette de mouton au musée d'archéologie nationale. Copyright Le Drap Bleu 2020.
Statuette de mouton. Musée d'archéologie nationale.

Or, jusque dans les années 1780, l’exportation de béliers reproducteurs est justement prohibée par l’Espagne, qui cherche bien évidemment, de son côté, à préserver ses intérêts économiques. On la comprend. La quête de cette « Toison d’or », ainsi présentée par un auteur anonyme cité par Louis et Jeannine REVELEAU dans Élevage d’hier, élevage d’aujourd’hui. (5), anime donc la France jusqu’à la fin du Premier Empire, à l’image de celle du bélier Chrysomallos convoitée par Jason ! Symbole de la recherche d’un élevage nouveau, censé relever les races françaises diminuées par des siècles de négligence, elle résulte en une transformation radicale du paysage ovin dans un processus que l’on nomme aujourd’hui « mérinisation ». (6)


Ce sont ces enjeux, politiques, économiques et intellectuels, à l’oeuvre derrière l’importation et l’acclimatation des moutons espagnols en France, et ses conséquences sur le monde agricole et industriel français, que les prochains développements de cet article proposent d’explorer. Nous en étudierons ensemble plusieurs aspects, dans un voyage qui nous entraînera sur les chemins des éleveurs et des bergers français du XVIIIe siècle, entre catastrophes climatiques, loups féroces, interdictions royales et jeux de diplomatie, contrebande, expériences agronomiques et scientifiques, en cette fin d’époque qui transforme durablement le monde d’hier en posant les jalons de celui d’aujourd’hui…


Alors, on est partis ?!



Bibliographie :

  1. Louis de JAUCOURT, « LAINE, s. f. (Arts​​, Manufactures​​, Commerce.​​) », Encyclopédie, vol. IX, 1765, p. 176, ENCCRE - Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie (1751-1772), URL [http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v9-712-0/], accès le 2020-04-29.

  2. Alexandra FAU, Histoire des tissus en France, Éditions Ouest-France, Rennes 2015, 127 p., p. 9.

  3. Le terme semble avoir fait son apparition en France en 1795. Voir Louis et Jeannine REVELEAU, « La quête des bêtes à laine fine et en particulier en France au XVIIIe siècle, préparant la mérinisation », Élevage d’hier, élevage d’aujourd’hui — Mélanges d’Ethnozootechnie offerts à Bernard Denis, sous la direction de Claude GUINTARD et Christie MAZZOLI-GUINTARD, Collection « Histoire », Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2004, 445 p., p. 122.

  4. Roland JUSSIAU, Louis MONTMÉAS et Jean-Claude PAROT, L’élevage en France — 10 000 ans d’histoire, Éducagri éditions, Dijon, 1999, 539 p., p. 221-245.

  5. Louis et Jeannine REVELEAU, op. cit., p. 127.

  6. Louis et Jeannine REVELEAU, ibid, p. 121, 134. + Jean-Marc MORICEAU, Histoire et géographie de l'élevage français — Du Moyen Âge à la Révolution, Fayard, Paris, 2005, 480 p., p. 159.


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